Jadis
Les baisers
Jadis
Jadis au long des gués comblés d’azur tremblant
J’ai dispersé mon âme,
J’ai dispersé mon âme au mol éplorement
Du bois s’attendrissant, faible comme une femme.
Combien je l’ai mêlée au souffle des roseaux
Fléchissants sous les larmes
D’or des tièdes matins, aux moiteurs des ruisseaux
Qu’ombrageaient de langueur les feuillages des charmes.
Combien je l’ai mêlée aux astres fleurissant
Les nuits d’Avril, au chaste
Soupir des lys versant dans l’aube leur encens;
Eprise de néant, le monde m’était vaste.
Je demandais l’oubli et j’avais pour bonheur
D’être, parmi l’aurore
Ou l’ombre, confondue à ce qui fuit et meurt,
L’atome inconscient qui plane et s’évapore.
Aujourd’hui l’univers sans bornes me contraint.
Il m’est entrave ou chaîne,
Vers un autre idéal, d’un élan souverain,
Mon songe inassouvi me soulève et m’entraîne;
Et c’est trop peu des bois, de la plaine, du ciel,
Du rivage embaumé dont plus rien ne me touche,
Pour y noyer mon âme, il me faut l’immortel
Au-delà que j’aspire au souffle de ta bouche,
Il me faut cet espace immense, un coeur humain,
Un coeur d’homme, ton coeur; l’illusion divine
De sentir l’infini palpiter sous ma main
Quand je m’endors blottie au creux de ta poitrine.
Par l’Amour, 1904.