Marie Dauguet

(On dit...)

II

Le coffret d’onyx

(On dit...)

On dit: “ C’est ridicule!” “Eh bien, ça m’est égal!
Je chanterai: “Combien j’ai douce souvenance;”
J’aurai le coeur poncif d’un héros de romance,
Je serai bêtement tendre et sentimental.

J’aimerai l’hirondelle au bord du toit, la rose,
Les langueurs, les soupirs, les rossignols, l’odeur
Des nuits tièdes d’été et la molle torpeur
Des étangs endormis où des cygnes reposent.

J’aimerai les bosquets, les bordures des bois,
Les saules éplorés, les ifs du cimetière
Et les lys effeuillant dans l’ombre leur mystère,
Et la cloche sonnant tragiquement minuit.

J’aimerai le refrain suranné des guitares
Et leurs accords plaintifs envolés dans les cieux;
J’aimerai l’idéal qui met des pleurs aux yeux,
Le rêve évaporé qui vers l’azur ségare,

Les voiles sur les tours, les aveux, les serments,
La barque délaissée au bord de la lagune,
Les couples enlacés vêtus de clair de lune,
Tout l’attirail fané des très-vieux sentiments.

O la douceur de vivre oubliant son époque,
- Tant de bassesse en somme et de stupidité -
Comme un ange en exil épris d’éternité,
Dans le vague reflet du passé qu’on évoque!

Qu’importe la science et la réalité,
Et leur vide fatras attristant et les phases
Surtout de l’évolution! Je veux l’extase,
J’adore le mensonge et non la vérité,

Et non la vérité absurde et immorale.
Ecoutez! L’heure sonne aux créneaux du beffroi,
L’angélus sans écho rapidement décroît.
Qui nous rendra l’odeur des roses du Bengale

Que respirait Sylvie aux jardins d’autrefois?

                                                             2 juillet 1902.

Par l’Amour, 1904.



02/09/2012
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