La moisson 2
La Moisson
2
Grands blés en Messidor autour de moi pressés,
A l'infini multipliant vos vagues hautes,
Frôlant, battant mon front, mes bras nus, mes épaules,
Grands blés sur mon coeur renversés;
O grands blés pleins de vie où je suis enfouie,
Perdue dans vos soupirs, vos spasmes, votre joie,
Sous le soleil dardant et le vent qui flamboie
Et, comme vous, par le jour radieux éblouie,
Soyez-moi fraternels. - Aimez-moi; je vous aime;
Vous êtes ma pensée future et ma chair même,
O grands blés; vous êtes les poèmes
Que j'écrirai et qui naissent quand on vous sème.
Vous êtes le sang pur et l'élan du désir,
Tout ce que charrieront de brûlant nos artères;
Le dur baiser et la caresse meurtrière;
Tout ce qui fait pleurer et mourir de plaisir;
Mon geste impérieux m'adjugeant du bonheur;
Le vouloir sans merci où se complaît mon coeur
Et mon orgueil encor, vous le serez, vermeils
Epis dressés dans du soleil.
17 juillet 1907.
Champs de l'Ermitage.
Les Pastorales, 1908