Le printemps mystique
Le printemps mystique
Je viens pencher ma soif sur vous, chants étoilés,
Sur vous, accords subtils des parfums étalés,
Sur toi, limpide nuit au souffle méthodique,
Sur ta voix ruisselante, o rossignol tragique,
Dont s'émeut le feuillage aux pieuses rumeurs
Et par qui tout l'espace enivré fond en pleurs.
Je cherche la fontaine aux fraîcheurs souveraines,
Que la lune caresse; en l'odeur des troènes
Et du buis promenant ses jets de pur saphir;
Ma lèvre avidement s'efforce à la saisir.
Je cherche le ciboire admirable où je puisse,
Comme un sang radieux offert en sacrifice,
Féconde infiniment en profonde délice,
O Nature, goûter, enfin se révélant,
Un peu de ton essence. Epars en l'harmonie,
Dont le cours se répand, que mon coeur communie
Avec le tien, Nature; étroit et chancelant,
Qu'il se transforme, s'agrandisse, s'illumine!
Je suis un mendiant de splendide origine,
A qui tout l'infini jusqu'à présent manquait,
De toi j'implore un philtre à la saveur divine,
Verse-le-moi, Nature, en ton large banquet!
II
Le vent porte rêvant des rayons sur ses ailes
Et des frissons perlés tremblent dans son plumage;
En sourdine, partout, des harmonies très frêles
S'évaguent: des pas d'ange effleurant un nuage.
Séraphiques entours! La terre qu'ennuage
Une brume argentée, inconsubstancielle,
Fume comme l'encens sous une blanche image;
La cire du soleil brûle immatérielle.
La chair a disparu! Toute marérielle
Apparence s'efface; et dans le clair sillage
Du vent mélodieux, en clair pélerinage
Mes désirs sont partis, les uns portant la vielle,
D'autres le tympanon. Altérés d'idéal,
Penchez, ô mes désirs, votre soif symbolique
Vers la mousse abritant un sanglot lilial;
Buvez, loin du réel, au philtre déloyal,
A la source d'argent, ce ciboire mystique.
Les Pastorales, 1908