Marie Dauguet

C'est l'azur couronné de clarté

C'est l'azur couronné de clarté

 

C'est l'azur couronné de clarté, l'admirable

Odeur des prés mouillés et de la glèbe arable.

Tout fermente, s'anime; un grand coeur véhément

Dans l'espace ébranlé palpite intensément.

Les saules ont frémi que la sève enlumine

Et les vastes sapins sous le fardeau du jour

Succombent et, blessés, déversant leur résine,

Semblent voluptueusement pleurer d'amour.

Le mélèze embaumé s'échevèle et s'écrie

Et la voix des coucous dans les bois est fleurie,

Jaune et fraîche, âcrement par leur brise nourrie.

Le lierre soupire et le viorne s'émeut,

Quand autour d'eux l'azur en clapotis clairs pleut.

Comme un cou de ramier l'air rose et bleu se gonfle

Et roucoule. Aux échos un rouet doré ronfle.

En salves des parfums s'élancent des gaulis

Ou danse, entre les rameaux bougeants, l'ombre floue;

Et sur la mousse bleue, dont se parent leurs lits,

Avec des cris légers et vifs, les ruisseaux jouent,

Brisant un arc-en-ciel fragile dans leurs bonds,

Accrochant ses morceaux à l'herbe qui frissonne;

Et toi, mon coeur, au large orchestre tu confonds

Ton accord. Comme un luth harmonieux tu sonnes,

Cependant que l'espace, où le désir s'explique,

Tout chatoyant s'emplit de gammes prismatiques.

 

 

C'est le divin Printemps et son transport sacré;

Sous les cieux en amour tout vacille enivré,

Du pacage où sourient les frêles cardamines

Aux forêts balançant leurs cimes pupurines.

Un inouï bonheur partout, envahissant,

Pénètre intensément les chênes bruissant;

Sur la glèbe, le blé rêveur, l'orge attentive

Et les eaux soulevées dont la couleur s'avive;

Les boeufs cornant le vent et les béliers fougueux;

Les crapauds en rumeur hors du ruisseau vaseux,

Traînant leur ventre ardent où du soleil se mire.

On entend les linots au bord de leur nid rire

Et, dans un grand sanglot bleuâtre et vaporeux,

Parmi les ébéniers aux fleurs de blonde cire,

Des ramiers enlacés, prolongeant leur délire,

Se baiser. Les essaims fous, grisés de soleil,

Ont quitté ce matin les ruches dégourdies

- Flûtes rauques, syrinx et tambourin vermeil -

Et promènent sans fin leurs troubles mélodies

Du murmurant feuillage aux flots chantant de l'herbe.

 

 

 

Chaque soir l'occident d'une pourpre superbe

Se drape, et c'est le seuil d'un temple infranchissable,

De l'encens s'évapore aux branches des érables,

On croirait que les champs fervents sont à genoux;

Puis la lune, songeant, s'avance à pas très doux,

Diadémée d'opale, en sa robe d'étoiles;

Sur les troènes blancs laissant pendre ses voiles.

Les sillons fatigués, où de la brume dort,

La ferme avec son puits sous les vieux noyers tors

Se taisent, mais l'étang, comme un rêve, bégaie,

Ou frôle, chuchotant, à l'entour de ses bords,

Les iris sommeilleux, la fleurissante haie;

Et, tout au fond des prés en troublante clarté,

Dont l'eau parmi l'oseille et le plantain gazouille,

La chanson verte, glauque et fausse des grenouilles

S'élève, préludant au silence enchanté...

 

Alors l'espace entier s'élargit, s'infinise;

Du mystère est prochain qui se familiarise;

Et dans mon coeur fuyant tremble, réverbéré,

Un fantôme divin! Qui donc a soupiré

Si tendrement, quelle est la bouche parfumée,

Dont les subtils baisers dans la brise embaumée

Rôdent? Parlez enfin, lueurs énigmatiques,

Soyez un verbe clair, souffles aromatiques;

Percez cette cloison: nos sens aveugles, sourds;

Apparais-nous sans voile, inaccessible Amour!

 

Les Pastorales, 1908.

 

 



22/10/2012
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