Midi
Midi
En lambeaux d'or, sous le ciel bleu tremblent les seigles,
Dans le vent déchirant leur somptueux tissu;
De bougeuses clartés traversent, vives ailes,
Les hauts épis mouvants sur les chaumes bossus.
Les seigles chancelants bercent parmi leur onde,
Qui brusquement cabrée avance ou se recule,
En des remous lilas crêtés d'écume blonde,
Des mélilots, des bleuets et des campanules,
Des liserons et parfois, maigres et dansants,
Ouvrant éperdument leurs corolles de soie,
Des coquelicots tachant de gouttes de sang
L'étincelant reflux qui les courbe et les noie.
Et tout est mouvement: les molles floraisons,
La future moisson que la lumière inonde,
La trace d'un nuage errant à l'horizon
Qui jette par les champs une ombre vagabonde;
L'air éclatant qui vibre où des papillons tournent,
Le sentier poussiéreux, traversé de rafales,
Les pruniers desséchés dont les troncs se chantournent
Et lancent sur le sol de fuyantes spirales.
Evoquant la musette au refrain persistant
Une immense chanson partout est murmurée:
Voix d'acier des criquets et tiges chuchotant
Poursuivent, inlassables, un rythme de bourrée.
La sève, âprement coule et bruit et résonne,
Pulsations d'artère ou crissement d'antennes,
Je l'entends continue, ardente et monotone
Qui nourrit les épis et qui gonfle mes veines.
Et me voici couché sur la glèbe rouillée,
Caressé du soleil qui me baise les yeux
Et dissolvant ma vie humaine, ensommeillée,
A la mer des épis roulant ses flots soyeux.
Le Mercure de France, septembre 1904