A la primevère
A la primevère
A Monsieur Maurice Maeterlinck
I
CLe soir à l'odeur fauve et rose
Comble d'or les sentiers mouillés
Et c'est la mort de toute prose
Sous les vieux ormes dépouillés.
Cette rigidité (,) le hêtre
A des soupirs d'adolescent,
Vers la langueur qui le pénètre
Dardant ses bras effervescents.
Quelle est la flûte traversière,
Mélancolique raucité
Qui joint au parfum du lierre
Sa fascinante alacrité?
Quelle est la promesse inconnue
Qu'on croit saisir à l'envol roux
De feuilles sur la terre nue?
Quel rire luit au vert des houx?
Quel est le visage extatique
Figé aux rives des forêts
Et que dit l'oracle pythique
Dont l'écho brouille le secret?
II
Je cueillerai des marjolaines
A l'heure des métamorphoses,
Le soir par les mornes moraines,
Des marjolaines et des roses.
Je cueillerai les primevères,
Que les coucous ont fait éclore
Avec leur cri qui persévère,
Avec leur cri couleur d'aurore.
J'écouterai, nouée au torse
Des bouleaux, le flot de la sève
Battre et fluctuer sous l'écorce,
S'égoutter au bourgeon qui crève.
Je m'assoierai près du silence,
Au pied vermoulu d'un érable,
Pour entendre chanter la stance
Muette de l'insaisissable.
Et pourvu que mon coeur s'émeuve,
Qu'importe si, fuyante trace,
Le verbe obscur où je m'abreuve
Se dissout sans nom dans l'espace.
III
Passe, rêve et souris. Surtout nulle pensée.
Evite le secret qui dort au banc de mousse,
Ses pieds blancs dans la source où son ombre s'émousse;
Evite le secret qui parle à ta pensée.
Sois l'instinct fleurissant l'âme errante du loup.
Vogue et rôde; et mélange au chalumeau discord
Du vent, si bucoliquement faux, ton accord.
Sous les ronciers déserts, cherche l'âme du loup.
Garde-toi de palper les murailles du cloître,
N'essaye pas d'ouvrir les portes vérouillées;
Mais pour mieux oublier, jette ces clefs rouillées,
Jette, avec ta douleur, ces clefs au puits du cloître.
Reste l'inconscient, pélerin pauvre et nu
Dont les rustiques doigts brûlent des manuscrits,
Et, pour ne pas pleurer, ignore tous les cris
Qu'ont poussés tant de coeurs brisés vers l'inconnu.
Sois le désir sans aile et l'espalier sans vigne.
Sois un peu de néant que le néant épie,
S'écoulant à travers la matière assoupie.
Sois cet hôte sans lendemain qui se résigne
A n'être qu'un néant que le néant épie.
Mercure de France, février, 1902