(Au crépuscule roux...)
Les heures sauvages
(Au crépuscule roux...)
Au crépuscule roux que de la brume emperle,
J'irai tendre des lacets
Et des rejets
Pour attraper des grives grasses et des merles.
J'irai à pas de loup sous les feuilles que rouille
Le vent pluvieux et doux,
Puis, à genoux,
Je tendrai mes trébuchets alentour des mouilles.
Je tendrai mes lacets seul dans le grand silence
Qui plaît aux contrebandiers,
Aux braconniers
Et aux fous. Je les tendrai, mes lacets, en silence.
Et les doigts attentifs à l'oeuvre qui m'absorbe,
J'attacherai au brin,
(laiton ou crin)
L'alise blète à point ou bien la rouge sorbe.
***
Après, je reviendrai par l'éteule poudreuse,
A côté du berger qui corne son troupeau
Et le pousse flairant le sillon du museau,
Pendant que le chien mord les oreilles laineuses.
Je reviendrai causant de très, très simples choses,
A côté du berger, du bouc et des brebis,
Lentes et rappelant doucement leurs petits,
Sous le couchant qui mélange aux toisons des roses.
Je reviendrai n'ayant plus rien dans la poitrine
De mon coeur anxieux et brûlant d'autrefois,
Pierre avec le caillou, feuillage au bord du bois,
Eteule où le troupeau bêlant rôde et piétine.
La porte s'ouvrira, rouge sur la nuit sombre,
Et j'y verrai debout, les bras tâtonnant l'ombre,
Inquiète, l'aïeule au seuil d'or du logis,
Attendre ses oiseaux envolés loin du nid
Et soulever très haut sa lampe chancelante
En disant: "Les voici, là-bas, je suis contente!"
21 octobre 1901
A travers le voile, 1902