Marie Dauguet

Au labour

Au labour

 

A Monsieur Edouard Rod.

 

La terre luit, comme le ventre clair d'un grèbe,

Etalant au bord des forêts son flanc joyeux.

Et voici, retournant patiemment la glèbe,

Le couple angéliquement doux de mes grands boeufs.

 

Les voici cadencés, majestueux et graves,

S'avançant balancés d'un rythme harmonieux;

Le pied prudent, le front haut sous le joug, la bave

Défilant lentement des mufles spongieux.

 

Couple pensif et fort qui sait comme on emblave

Et comment on laboure et connait le chemin

Par où l'n va chercher le maïs et les raves;

Qui ne tolère pas le bâton ni le frein.

 

Couple qui sait tracer seul d'impeccables lignes;

Epris d'ordre serein, enseignant, rituel,

Comme on souffre la vie et comme on se résigne

Au labeur incessant sous l'impassible ciel.

 

Les voici, attentifs à la moindre parole,

Grivelot et Pommé, car on mène les boeufs 

- Et cette mélopée au fond du soir s'envole -

Sans rudesse, encausant tête à tête avec eux.

 

Et souvent je les joins l'automne à la charrue,

Leur parlant à leur gré un langage choisi,

Caressant de la main leur figure velue,

Leur front calme, leur flanc que le couchant roussit.

 

***

 

O coeur, ô coeur le mien, plein d'inquiéte écume,

Bondissant et toujours vide et torrentueux,

Regarde ces boeufs doux et la glèbe qui fume

Comme un paisible autel, sois paisible comme eux.

 

Sois le coeur ingénu de ces grands boeufs, tes frères,

Qu'aucune vérité n'altère ou ne corrompt;

Sois le coeur infini et profond de la terre,

Mirant un peu de ciel au dos bleu des sillons.

 

Septembre 1901



21/10/2013
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