Marie Dauguet

Bois mon resvoir

Les heures sauvages

 

Bois mon resvoir

 

Sous les branches mortes, il pleut du silence,

Au fond des bois muets profondément;

Plus rien qui murmure ou se balance

Au fond des bois déserts.

Seul, mon coeur, oiseau transi, s'élance

Au fond des bois qu'il aime,

Epris de leur mystérieux poème

Décevant.

Et les bois l'écoutent en rêvant,

Car ils comprennent

Tous nos désirs qui s'effrènnent

A plein élan,

Comme des cavaliers volants,

Vers la magique cité,

L'immensité.

 

Ils sont nos confidents et savent,

Grâce aux lourdeurs qui les entravent,

La douleur d'être limité;

Et, quand ils dorment en décembre,

C'est qu'ils sont las d'avoir lutté,

Tout l'été,

De tous leurs membres,

Pour échapper à la prison

Lugubre du même horizon.

 

Ils sont fourbes

D'avoir voulu

Vivre comme les oiseaux vivent

Et comme coulent les eaux vives.

Jamais leur tristesse assagie

Ne s'apaise. La nostalgie

Des lointains merveilleux les hante

Qu'apporte l'odeur errante

Des tempêtes où des chimères tourbillonnent.

 

Ecoutez-les, ces cris profonds

Qu'ils ont,

Avant que l'hiver les baillonne,

Vers des pays fleuris d'étoiles!

Ils sont amoureux jusqu'aux moelles

Des rayons qu'ils n'ont pas vus

Et des frissons qu'ils n'ont pas eus.

De tous leurs grands bras musculeux

Ils attirent jusqu'à eux

Les clartés éphémères et les brises

Où se sont baignés des dieux nus,

Où la ronde des aegypans cornus

A semé ses évohés! Leur coeur se brise

Sous l'aubier,

Quand l'inconnu printemps qui fuit, de son haleine

Ouvre les grappes des troènes

Et les pâles fleurs des sorbiers.

 

***

 

Frigides en leur caducité

Spectrale,

Voici les bois muets sans que la raucité

Même d'un râle

Evoque les anciens délires,

Qui suppliaient avec la voix verte des cors

Ou bruissaient, tels des doigts frôlant des lyres,

Aux cordes d'or.

 

Mais les bois où mon coeur s'élance,

Oiseau transi, le caressent de leur silence,

Car ils comprennent

Tous nos désirs qui s'effrènent

A plein élan,

Comme des cavaliers volants,

Vers l'inaccessible cité,

L'immensité.

 

Bois des Spt-Chevaux (novembre 1900).

 

A travers le voile, 1902



29/03/2013
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