Bois mon resvoir
Les heures sauvages
Bois mon resvoir
Sous les branches mortes, il pleut du silence,
Au fond des bois muets profondément;
Plus rien qui murmure ou se balance
Au fond des bois déserts.
Seul, mon coeur, oiseau transi, s'élance
Au fond des bois qu'il aime,
Epris de leur mystérieux poème
Décevant.
Et les bois l'écoutent en rêvant,
Car ils comprennent
Tous nos désirs qui s'effrènnent
A plein élan,
Comme des cavaliers volants,
Vers la magique cité,
L'immensité.
Ils sont nos confidents et savent,
Grâce aux lourdeurs qui les entravent,
La douleur d'être limité;
Et, quand ils dorment en décembre,
C'est qu'ils sont las d'avoir lutté,
Tout l'été,
De tous leurs membres,
Pour échapper à la prison
Lugubre du même horizon.
Ils sont fourbes
D'avoir voulu
Vivre comme les oiseaux vivent
Et comme coulent les eaux vives.
Jamais leur tristesse assagie
Ne s'apaise. La nostalgie
Des lointains merveilleux les hante
Qu'apporte l'odeur errante
Des tempêtes où des chimères tourbillonnent.
Ecoutez-les, ces cris profonds
Qu'ils ont,
Avant que l'hiver les baillonne,
Vers des pays fleuris d'étoiles!
Ils sont amoureux jusqu'aux moelles
Des rayons qu'ils n'ont pas vus
Et des frissons qu'ils n'ont pas eus.
De tous leurs grands bras musculeux
Ils attirent jusqu'à eux
Les clartés éphémères et les brises
Où se sont baignés des dieux nus,
Où la ronde des aegypans cornus
A semé ses évohés! Leur coeur se brise
Sous l'aubier,
Quand l'inconnu printemps qui fuit, de son haleine
Ouvre les grappes des troènes
Et les pâles fleurs des sorbiers.
***
Frigides en leur caducité
Spectrale,
Voici les bois muets sans que la raucité
Même d'un râle
Evoque les anciens délires,
Qui suppliaient avec la voix verte des cors
Ou bruissaient, tels des doigts frôlant des lyres,
Aux cordes d'or.
Mais les bois où mon coeur s'élance,
Oiseau transi, le caressent de leur silence,
Car ils comprennent
Tous nos désirs qui s'effrènent
A plein élan,
Comme des cavaliers volants,
Vers l'inaccessible cité,
L'immensité.
Bois des Spt-Chevaux (novembre 1900).
A travers le voile, 1902