La baraque
Les heures sauvages
La baraque
Ma barque est au bord du bois,
Dans l'odeur âpre de la sève
Baignant son invisible toit,
Ma baraque est au bord du rêve.
Ma baraque luit aux beaux jours,
Comme un phare en la solitude;
Elle est mon rempart et ma tour
Contre les vaines servitudes.
Les murs sont des blocs desséchés
Encadrant l'étroite croisée,
Les carreaux à moitié cachés
Par les fougères enlacées.
Le seuil est de granit rongé,
La porte sans pène ni clenche,
Maison d'outlaw ou de berger,
Qu'on clôture d'un bout de branche.
Le sol rugueux, l'âtre noirci,
Que soutient un pavé difforme,
Où flambent, par les soirs transis,
Le genêt, l'épine et la corme;
Pour couche, la peau d'un bélier
Qu'auprès du foyer tiède on traîne;
Dans un coin, fruste mobilier,
Le banc et la huche de chêne.
***
Et pas un choc brutal de voix
Heurtant le silence des mousses,
Rien qu'un ruisseau fuyant sous bois
Parmi l'ombre qu'il éclabousse.
Le vol d'un geai, le cri dolent
D'un crapaud au fond d'une ornière
Ou, brusque, un lièvre détalant
De quelque sente coutumière.
Ni formules, ni mots appris
Et que débitent à la grosse
Les gens du monde aguerris;
Ni dogmes vains, ni gaîté fausse.
Loin d'eux et l'oin d'elles surtout,
Loin des dupes et des coquins,
Dans ma baraque qu'il est doux
De vivre seul avec mon chien!
27 juillet 1901.
A travers le voile, 1902.