Marie Dauguet

La baraque

Les heures sauvages

 

La baraque

 

Ma barque est au bord du bois,

Dans l'odeur âpre de la sève

Baignant son invisible toit,

Ma baraque est au bord du rêve.

 

Ma baraque luit aux beaux jours,

Comme un phare en la solitude;

Elle est mon rempart et ma tour

Contre les vaines servitudes.

 

Les murs sont des blocs desséchés

Encadrant l'étroite croisée,

Les carreaux à moitié cachés

Par les fougères enlacées.

 

Le seuil est de granit rongé,

La porte sans pène ni clenche,

Maison d'outlaw ou de berger,

Qu'on clôture d'un bout de branche.

 

Le sol rugueux, l'âtre noirci,

Que soutient un pavé difforme,

Où flambent, par les soirs transis,

Le genêt, l'épine et la corme;

 

Pour couche, la peau d'un bélier

Qu'auprès du foyer tiède on traîne;

Dans un coin, fruste mobilier,

Le banc et la huche de chêne.

 

***

 

Et pas un choc brutal de voix

Heurtant le silence des mousses,

Rien qu'un ruisseau fuyant sous bois

Parmi l'ombre qu'il éclabousse.

 

Le vol d'un geai, le cri dolent

D'un crapaud au fond d'une ornière

Ou, brusque, un lièvre détalant

De quelque sente coutumière.

 

Ni formules, ni mots appris

Et que débitent à la grosse

Les gens du monde aguerris;

Ni dogmes vains, ni gaîté fausse.

 

Loin d'eux et l'oin d'elles surtout,

Loin des dupes et des coquins,

Dans ma baraque qu'il est doux

De vivre seul avec mon chien!

 

27 juillet 1901.

 

A travers le voile, 1902.



29/03/2013
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