Bonheur
Bonheur
Bel été, souris-moi, parle-moi, je t'écoute,
Attentive comme une soeur, comme une amante,
Drapée dans l'azur long et que ton ciel déroule,
Couronnée par l'odeur des moissons flavescentes.
A travers la campagne idéalement blonde
Et tendre, souris-moi; au creux des blés où grondent,
Grand rouet envolé, dévidant du soleil,
Sous les coquelicots poussant des cris vermeils,
Les chansons des criquets; quand il pleut entre mes doigts,
Comme un miel embaumé, liquoreux, la clarté,
O mon enchantement, ma clémente beauté,
Qui me comble et me rassasie, ô souris-moi,
Ble été! Viens mon trésor et que je te prenne
Etroitement entre mes bras comme ses gerbes
Le moissonneur! - Quel vaste bonheur me subjugue!
Tout en nous est d'accord, je ne te cherche pas;
J'oublie ce labyrinthe où s'égare les pas
Te poursuivant, amour humain. Il s'accumule,
Mon bonheur, riche et splendide comme un gerbier,
Où l'on jette à pleins poings les lourds épis liés;
Riche et splendide autant que cette haute meule,
Avec de l'or bâtie, sur la fulgide éteule.
Les Pastorales, 1908.