(C'est fini du vent brutal...) A la primevère
A la primevère
C'est fini du vent brutal...
C'est fini du vent brutal, des brises rêches,
Qui miroitaient à travers l'air,
Et coupaient en cinglant les branches sèches
Et les joncs comme des faux d'acier clair.
Il est venu le temps où la carpe qui fraie
Se flâtre indolemment aux pousses des iris,
Où le crapaud sanglote en amour sous la haie,
Où de la sève glue aux bourgeons de cassis.
Il est venu le temps où, béante d'extase,
La grenouille égarée entre les bleus orchis
Flotte aux premiers soleils qui tiédissent la vase
Et revêt son maillot d'agate et de lapis.
Brusquement, quelque part, une loutre éternue,
Et le morbide encens monte à travers les joncs,
L'odeur de volupté des marais s'accentue,
Qui parle aux sens tout bas avec des mots profonds.
Plus de ruisseaux vitreux dont les remous se figent
A la mousse craquante et plus de noirs agrès,
Branchages dépouillés qui vibrent et s'érigent
Sur le ciel froid autant qu'une dalle de grès.
La résine suinte à l'écorce des mélèzes,
De la tendresse fond sous l'aubier trop étroit,
Et le Désir puissant surgit, dont rien n'apaise
L'ardeur et qui nous prend et lentement nous baise
Aux lèvres, comme un amant qui serait roi.
A la primevère
A travers le voile, 1902