Les chaumes
Cendres et pourpres
Les chaumes
Ce soir, le soleil sur les chaumes
Déverse une houle diffuse,
Des couleurs qui semblent des baumes,
Où tout se trempe, où tout infuse.
La clarté tombe de la nue
Avec des teintes de chlorose,
Un frémissement de chair nue
Au sommet des avoines pose.
Par terre, tranquille mouvance,
L'effleurement mauve des ombres,
Frêle tissu qui se balance,
Translucide à travers les sombres.
Et des cadences eurythmiques,
Des tons jacinthe ou bien lavande,
Tons de pervenches anémiques,
Murmurent au ras de la lande.
Le jour voluptueux attarde
Sur les éteules sa caresse,
Vague baiser qui se hasarde,
Moitié désir, moitié paresse.
Et l'écho de ces alliances,
L'accord dont la douceur enchante
Et vibre dans les ambiances,
C'est l'âme des choses qui chante.
C'est le seuil même du mystère;
Le mot révélateur s'échange,
Presque entre le ciel et la terre,
En cette symphonie étrange.
Le clair-obscur bruit et suinte
Et s'épand dans l'air insondable,
Prêtant à la plus faible teinte
Le rythme imprécis d'un vocable.
Le regard couvert d'une taie,
C'est un langage qu'on épelle
Et dont l'accent divin bégaie
A l'oreille sourde et rebelle.
Clarté, rythme, le soir condense
Et brouille au loin d'améthyste,
Sous sa vague et subtile essence,
Votre dernie chant qui persiste.
Mais c'est la suprême cadence,
Point d'orgue mauve en la nuit grise,
Au seuil de l'ombre et du silence,
La corde fragile se brise.
A travers le voile, 1902