Marie Dauguet

C'est l'Amour

C'est l'amour

 

Per un quadro à la maniera di Dante Gabriele Rossetti.

 

C'est l'Amour! il sommeille sous les troncs des vieux ifs,

A l'ombre que répand leur cime funéraire,

Près de la source noire où tombe la lumière

Eclatante et nette d'un ciel de Primitifs.

 

Il dort, son clair visage appuyé sur sa main,

Et sa chair ivoirine est la fleur des jasmins,

Dont l'air mélodieux subtilement s'embaume,

pendant que du gazon, mollement azuré,

S'élèvent deux grands lys déversant leur arôme

Et qui penchent vers lui leurs calices nacrés.

 

En bouquets, lupins bleus, saponaires, orties

Bordent l'eau gazouillante en fuite sous les joncs;

Un vol d'abeille doux quelque part balbutie.

Prises dans un réseau tremblant de soleil blond,

Errent sans bruit, frôlant de leurs ailes de tulle

Les iris, coupes fragiles, des libellules.

 

On entrevoit au loin, violâtre et lilas,

A travers le profil des branches paresseuses,

L'horizon qui déploie ses lignes flexueuses

Et ses tendres reliefs qu'un doigt divin moula.

 

Plus proche, dans la plaine, où la chaleur s'apaise,

Résonnent, dirigeant la marche des troupeaux,

Ou charmant leur repos à l'abri des mélèzes,

Aux lèvres des bergers, les rustiques pipeaux.

Et tout ce paysage est si pur, est si calme,

Inondé tout entier par la limpidité

Du ciel. L'ajonc fleurit, l'eau chante sous les palmes

Des lauriers abritant sa chaste nudité.

 

L'azur est répandu sur la fraîcheur des mousses,

L'air est heureux, le vent innocent, l'herbe douce,

La chanson caressante à l'écho balbutie

Des colombes aux troncs des amandiers blotties.

 

Il dort, son clair visage appuyé sur sa main,

L'Amour, sous le bandeau de pavots et de roses,

Lui dont la chair candide est la fleur des jasmins;

L'Amour ingénument comme un engant repose.

 

A ses flancs son carquois tout en or ciselé,

Travail d'un Cellini des temps olympiens,

Reluit des vifs rayons du soleil enroulé,

Et l'on voit tout à coup les flèches qu'il contient,

 

Dont s'aiguise la pointe aux jeux de la lumière,

Comme imprégnées encor de l'oeuvre coutumière,

Laisser sur le gazon craintif et frémissant,

Lourdes et lentes, tomber des gouttes de sang.

 

Extrait de Florence

 

 

Clartés, 1907.



09/09/2012
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