(Il fait nuit dans mon coeur...)
Les heures fragiles
(Il fait nuit dans mon coeur...)
Il fait nuit dans mon coeur, que le jour abolisse
Sa dureté! Je veux, pour mieux t'aimer, de l'ombre,
La nuit rythmique et douce ainsi qu'un berceau sombre.
Rêver... Et rien surtout qui parle ou m'avertisse!
De l'inepte raison que cette heure nous sèvre.
Bouche à bouche, épuisons, chimérique ambroisie,
La coupe que l'amour porte de lèvre en lèvre,
Qu'aucun voeu ne retient et que nul n'a saisie.
Je veux la nuit sur nous, et qui s'étende et glisse,
Tel un souple linceul, un fleuve où l'on oublie
Que la berge s'enfuit, que la fleur s'exfolie;
Je veux la nuit sur nous, la nuit consolatrice.
M'enivrer du baume de l'onde léthéenne!
Car je suis ce Passant qu'attire tout mystère,
Epouvanté de l'aube et des lumières vaines
Et qui d'un peu de songe obscur se désaltère.
A travers le voile, 1902