Marie Dauguet

J'ai découvert enfin qui je suis

J'ai découvert enfin qui je suis

 

j'ai découvert enfin qui je suis, d'où je viens.

J'ai vécu très longtemps mêlée à tous les miens

Sous la tente rugueuse ouverte à la nature,

Où rien ne vous limite, où rien ne vous emmure,

Des pasteurs aryens. Leur main la dépliait

Quand s'endormait au fond du couchant violet

Et sur l'Himalaya, dont les longs bras s'écartent,

Le soleil grandiose; à l'heure où les troupeaux,

Par le steppe égarés, vers le bercail repartent,

Précédés par leurs pâtres aux dissonnants pipeaux.

Je regarde mon sang tout au fond de mes veines,

Qui fleurissent ma peau comme de bleues verveines

Et je songe: ils sont là poursuivant leur chemin.

Je regarde mes mains et rien ne les suspecte

En mon esprit. Je dis: mes mains je vous respecte,

Vous avez la douceur des brebis et du lin.

 

Dans ma chair, dans mon coeur immense, d'autres êtres

Par milliers sont morts. Mais ces lointains ancêtres

Se survivent, malgré tant de soleils éteints,

Indéniablement à travers mes instincts

Les plus profonds, parmi mes goûts les plus sincères.

L'impériale race en moi se régénère.

Vraiment n'étiez-vous pas les princes de la terre,

Vous qui ne disiez pas en élevant les bras:

"Nous sommes des bannis, qui nous recueillera?"

Le divin, dont toujours notre désir s'affame,

Ne se séparait pas encore de votre âme,

Ni rien de l'univers; tout restait confondu

Dans un rayonnement jusqu'au ciel répandu;

Dieu formait avec vous un lumineux mélange;

C'est en vous regardant que l'on inventa l'ange.

Vous trouviez pour la bête aimante des mots doux;

Quand la rose s'ouvrait, vous tombiez à genoux.

Vous causiez avec l'eau, dont la voix sourde flue,

Et vous disiez au vent joyeux: Je te salue!

Quand l'aurore, fontaine de clarté, noyait

L'espace, vous mettiez sa blancheur sur vos lèvres

Pour les purifier, tandis que s'écriait

Dans l'enclos le troupeau des béliers et des chèvres

Impatient d'être délâché par les champs;

Et si vous rapportiez, les faucilles aux flancs,

Entre vos bras heureux, l'énorme et lourde gerbe

D'orge ou de blé teintés d'un feu pur et vermeil,

Vous croyiez, contre vous, d'un grand geste superbe,

Presser, tout palpitant, le coeur chaud du soleil.

 

 

Le soir, au seuil bleuâtre et tranquille des tentes,

Dont sur la solitude on relève les pentes,

Vous parliez longuement, paisibles et hautains,

Et d'égal à égal, aux astres vos voisins,

Poursuivant leur regard parmi l'espace sombre,

Et vous en décriviez les circuits et le nombre.

La lune s'asseyait songeuse près de vous

Ou, lente, se couchait au creux de vos genoux.

Les chiens tendres baignaient leur regard dans le vôtre;

S'il pleuvait, vous goûtiez le parfum de l'épautre

Comme un baiser profond dont s'ébranlent les sens,

Comme un geste d'amour aux attraits tout puissants.

 

Ah! que je vous admire et combien je vous aime,

Magnifiques bergers, qui d'un pas entêté,

Sans doute accomplissant une tâche suprême,

Vers son destin futur meniez l'humanité

Et gardiez d'un foyer céleste la lumière

Aux lampes de vos coeurs. Combien je vous vénère

Pour vous être aperçu qu'un dieu vit dans la chair,

Dans l'élément, le cèdre et le brin de fougère,

Comme au subtils remous du raisonnant éther;

Qu'à l'extase lucide, amoureux, il se livre

Et pour m'avoir transmis ce coeur fervemment ivre. 

 

 

Les Pastorales, 1908.



04/10/2012
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