(J'aime errer...) Au bord de l'ombre
Au bord de l'ombre
(J'aime errer...)
J'aime errer parmi l'abandon et la torpeur
Et l'inerte langueur des choses qui se meurent,
Et j'aime erre dissoute en la morne vapeur
Que versent les ruisseaux, comme des yeux qui pleurent.
Et j'aime errer parmi les berges sans lueur,
Où coule seulment, les soirs de pleine lune,
Le brouillard indécis des marais en sueur
Qui se heurte sans bruit à d'invisibles dunes,
Cernant d'un lac d'étain la muette pâleur,
Et qu'ici rien ne parle ou n'affirme ou ne veuille,
Mais que soient assourdis le rêve et la douleur,
Indistincts et fondus au coeur qui les accueille.
Et j'aime errer parmi les intangibles fleurs,
Qui n'ont jamais éclos même sur des ruines,
Et qui n'ont ni parfums, ni formes, ni couleurs,
Dont le charme subtil est tissé de bruines.
M'anéantir éparse en la grise douceur
Des brumes et du songe et de ce qui dilue
Mon âme inattentive et la fait presque soeur
De l'immense inconnu qui partout fuit et flue.
Mars 1900