(Je marchais dans la nuit...) Au bord de l'ombre
Au bord de l'ombre
(Je marchais dans la nuit...)
Je marchais dans la nuit livide
Et m'en allais je ne sais où;
Des ombres rampaient à genoux
Autour de moi dans l'herbe humide.
Moirant l'eau d'un étang noirci,
A peine un peu de clarté verte,
Une blessure à peine ouverte
Au flanc du couchant obscurci.
Je marchais triste dans ce vide
Du silence sous mes pieds nus,
Coeur dépouillé redevenu
La cendre de la lande aride.
A l'horizon, rien que cette eau,
Qui verdoyait comme une plaie,
Sous le frisson des oseraies,
Cette eau morte comme un tombeau.
Et quelqu'un qui m'avait aimée,
Mais que je ne devinais plus,
Etreignait d'un geste confus
Ma main. Et sa main consumée
Entre mes doigts s'amollissait.
Ce pays que l'oubli ravage
Et ce lac au fiéleux mirage,
Dis-moi, mon coeur, qu'est-ce que c'est?
L'abîme trouble où tu voyages?
A travers le voile, 1902