(Je ne suis plus de ceux...) Au bord de l'ombre
Au bord de l'ombre
(Je ne suis plus de ceux...)
Je ne suis plus de ceux qui s'en vont d'un poing sourd
Ebranler lourdement les portes de la tour,
A qui rien ne répond de l'éternel problème;
Je suis simple et très pauvre en face de moi-même,
Ainsi qu'un mendiant auprès d'un reposoir,
Je m'arrête paisible à la rive du soir,
Pélerin ignorant sous la robe de laine
Et qui trempe ses pieds meurtris dans la fontaine.
Mon coeur emporte en lui le silence des bois,
Leurs chemins épanchés et leurs retraits sans voix.
Il est souple et fuyant autant que les murmures
Imperceptibles des étangs sous les ramures
Soyeuses des roseaux et des joncs enlacés.
Il est tout ce qui vit et meurt: et le passé
Et l'avenir insoucieux pliant son aile,
Le clair matin s'ouvrant, la tombe que l'on scelle.
Il est aussi l'atome et n'a plus pour essor
Que le désir extrêmement doux, non d'un sort
Quelconque, mais tout simplement de cesser d'être
Soi et comme en exil du flot qui s'enchevêtre
Des racines au faite et de la terre au ciel.
Il n'est que le grain de sable au torrentiel
Courant évoluant son humilité calme,
La sève sous l'écorce et le vent dans la palme.
22 mars 1901.