La moisson 3
La moisson 3
Un fleuve lumineux autour de nous ondoie,
Le tenace baiser du soleil nous dévore
Et les champs d'un halo pourpre et tremblant se laurent,
Les champs vibrant, crissant, les champs criant de joie!
J'ai tant fait éclater de linceuls et de liens
Qu'il n'est plus rien en moi qui soit de l'ombre triste;
Comme les blés et les seigles en feu, j'existe,
Une sève embrasée bat dans mon être humain.
J'existe!... Et ce plaisir formidable m'absorbe
De respirer d'accord avec les blés déments,
De rester là debout au bord du firmament
Avec mon âme ouverte, avec ma chair qui s'offre.
Le vent fou dans ses bras violemment me presse,
Ainsi que les épis tout crépitants qu'il tord
Et le fauve et vigoureux soleil me caresse,
Abattu sur mon coeur parmi la moisson d'or.
Ah! plus d'étroit mensonge et de bonheur factice,
Le triomphal Amour, l'Amour brutal me blesse
Et satisfait enfin mon besoin de délices!
Radieuse saison, j'ai compris ta sagesse
Et que le soir où l'on meurt, l'unique remords,
Atroce, est de songer qu'on oublia de vivre
Et qu'on descend sous terre avec les deux mains vides;
Ah! jouissons, ah! jouissons, nous qui seront des morts!
18 juillet 1907
Champ de l'Ermitage.
Les Pastorales, 1908.