La San Hanieri
La San Hanieri
Aux portails du Dôme engourdi,
Et d'où nuls bruissements ne sourdent,
Parmi le grand silence ourdi,
On suspend des guirlandes lourdes
De buis au souffle endolori,
C'est demain la San Ranieri.
Muettement, en blancs surplis,
Sur les autels posent des lys,
Que leur tendent des mains pâlies
Les prêtres. - L'heure s'exfolie
Tristement dans l'air amoindri;
C'est demain la San Ranieri.
Le ciel, qui poudreusement coule,
Au-dessus du Campo Santo
Et sur l'herbe que nul ne foule,
Les ogives, les chapiteaux,
Promène de lents remous gris;
C'est demain la San Ramieri.
Santa Maria della Spina,
Si petite, joujou gothique,
Mais d'un style qu'on décharna,
Songe au bord de l'eau aphasique
Dont l'embrun fauve la flétrit;
C'est demain la San Ranieri.
Maintenant que la nuit s'est faite,
Des gens surgis on ne sait d'où,
Suivent, de spectrale silhouette,
Et chuchotant cendreux et doux,
Le cours de leur fleuve appauvri;
C'est demain la San Ranieri.
Ils vont d'une allure incertaine,
Sans déranger l'air autour d'eux,
Leur pas glisse - on dirait soyeux -
A travers l'heure triste et vaine
Et que nul espoir ne fleurit;
C'est demain la San Ranieri.
Midi trop clair les offusquait;
Contemplant leur fleuve de boue,
Qui parmi l'ombre se dénoue,
Gluant, ils vont au long des quais,
Par quel rêve vague attendris?
C'est demain la San Ranieri.
Peut-être attend-on quelque chose,
Où la vie se réveillerait?...
La fin de l'incurable hypnose
Que crée l'haleine des marais
Et la fièvre qui nous meurtrit?
C'est demain la San Ranieri.
La fête de Pise-la-Morte,
Pour la célébrer décemment,
Qui se surmène et qui s'exhorte,
- Sa joie grelotte obscurément
Sans un sursaut et sans un cri -
C'est demain la San Ranieri.
Seulement tintent, frêles, fausses,
Les cloches dont le son se hausse
Aux fenêtres des lanterneaux,
Puis sur l'eau jaune de l'Arno
Retombe et mornement périt;
C'est demain la San Ranieri.
Dans "Pise"
Clartés, 1907.