Marie Dauguet

Saint-Paul hors-les-murs

Saint-Paul hors-les-murs

 

   Saint-Paul hors-les-murs est l'expression d'un art où la nature n'entre pour rien dans ses formes caractéristiques. Il rappelle par son Antinaturalisme ou Supernaturalisme certaines pièces de Beaudelaire (sic) d'une dureté et d'une luisance d'amail. On est ici en dehors du vulgaire Réel, plus haut que la vie; un atmosphère de songe emplit ces espaces gigantesques. Les vastes proportions, la splendeur eurythmique des lignes, le majestueux ensemble des mosaïques archaïques où tout mouvement s'est figé en d'hiératiques et solennelles attitudes; cette vision d'une sorte de beauté si hautaine écrase d'abord la sensibilité qui hésite et se replie. Mais, surprise délicieuse, un miracle se produit; la magie de la couleur, vite perçue, apprivoise l'émotion, peuple de caressantes résonnances l'ambiance d'abord glaciale. L'immense basilique se fait compréhensive et d'une incomparable séduction, grâce aux marbres de toutes les teintes les plus variées - des plus joyeuses aux plus navrées - prodiguées sans mesure et qui partout revêtent les murailles. c'est une merveilleuse débauche d'irisations, de reflets, de chatoiements pourprés, orangés, verdâtres, violet paisible, vert désespéré, lilas anémiques, rosissants frissons d'aurore. Vraiment ici la couleur est reine, maîtresse absolue. La monotonie sévère des combinaisons architecturales, les piliers lisses, les larges surfaces unies ne distrayent pas le regard qui, dans cet effacement et cette absence des accidents de la forme, éperdument s'absorbe en la jouissance de la couleur pour elle-même, de ses vibrations spéciales, évocatrices de toute la douleur et de toute la volupté, comme les parfums et la musique.

   Et le plaisir éprouvé est bien celui-là même que l'on savoure, abstraction faite de l'entour, à écouter de la musique, les mains sur le visage.

   Les reflets d'or qui tombent fastueusement du plafond aux richissimes caissons dominent comme une phrase superbe et continue les modulations des diverses nuances; thème mélodique auquel s'adjoignent et s'entremélangent, en un tissu polyphonique inextricable et rutilant, des dessins plus éphémères... c'est une symphonie en or majeur, mais où le ton primordial n'a rien d'absolu, s'égare au travers de morbides accords fléchissants et bémolisés, parmi les résolutions d'une mélancolie désirante...

   Oui, ces marbres si délicatement nuancés, ces albâtres d'Orient aux candides lueurs, ces malachites, d'une moiteur, à l'oeil, de mousses au fond des bois par la seule qualité de leurs vibrations lumineuses par le jeu de leurs reflets et en dehors de tout autre élément d'émotion, ont la puissance de griserie de la musique; c'est la même provocation aux agenouillements fervents, aux bras tendus vers je ne sais quel inexorable Idéal, qui nous laisse blessé, se moque et fuit...

   Et voici que toute l'âme écumeuse se soulève, anxieuse d'un rivage nouveau où déferler le trop pein de son désir...

   Je ne suis plus, au gré de ma première impression, dans ce palais grandiose de la divinité, hors de la vie, de la fiction de la vie, je la contemple au contraire, expressive, imagée qui se déroule autour de moi sous ses formes les plus disparates, mais toujours ramenées pourtant à d'harmonieux tableaux; l'intensité de mon rêve né du vertige des tons ou des sens qui jaillissent, s'épanouissent, se prolongent, en recrée des aspects...

 

Clartés, 1907.

 



21/09/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 4 autres membres