Les Chansons
Les chansons
Elle est douce la voix du jeune veau
et celle de la vache;
les chants de la syrinx sont doux
et ceux du bouvier et les miens aussi.
Théocrite
Prends l'herbe desséchée, par le soleil pâlie,
Et la gerbe qu'on lie,
Prends l'eau pure et le vent et la tiède saison
Et fais-en des chansons;
Prends cette éclosion des oeufs de la fauvette
Sous l'épine-vinette
Et le troène en fleurs aux candides frissons
Et fais-en des chansons.
Prends les sainfoins penchant leurs épis de rubis,
La toison des brebis,
Dont la blancheur s'accroche aux caressants buissons,
Et fais-en des chansons.
Prends le grenier profond plein de toiles d'aragnes,
Où du soleil flou stagne,
Sur les blés en monceaux, les mortes fenaisons
Et fais-en des chansons.
Le fumier triomphal, où le coq est perché,
Et le purin taché
par l'or incarnadin qui fuit des horizons
Et fais-en des chansons;
Les cochons fouissant aux fanges qui se dorent
Les roses de l'aurore
Et la mare boueuse aux verdâtres cressons
Et fais-en des chansons.
Prends le rire sournois des gués et des fadets,
Dans les bois violets,
Où la lune tombant montre son masque blond
Et fais-en des chansons.
Prends l'écluse, parmi le soir, vibrante harpe,
A la flottante écharpe;
Le moulin radoteur et son troupeau d'oisons
Et fais-en des chansons.
Assieds-toi comme un pauvre au seuil bleu de la nuit
Près des lys et du puits,
Prends leurs charmes divers et leurs exhalaisons
Et fais-en des chansons.
Pâtre, joueur de flûte, enfin prends ta douleur,
Son amère rumeur
De source ténébreuse en fuite sous les joncs
Et fais-en des chansons.
Les Pastorales, 1908.