Les pleurs de la vigne
Les pleurs de la vigne
La flûte rose
Et d'or pâle des merles, en la brume fragile,
Auprès des sources volubiles,
Eclaire les anémones décloses.
Du soleil fauve s'évapore
Des mousses fumant et l'aurore
Répand sa chevelure embaumant sourdement
Par la saulaie. - A pleines corbeillées,
Des odeurs, des couleurs sur la terre rouillée
Sont, par quels doigts magiciens,
Déversées. - On entend se briser des liens,
Des bourgeons éclater... et l'aubier qui se gonfle...
Et partout le concert éblouissant triomphe,
Pù les sanglots de l'amour humain se confondent,
Des sèves dont le flot monte, ruisselle et gronde.
Ah! prendre part à cette fête
Tumultueuse qui s'apprête;
Tenir en sa paume inquiète
Le souffle délirant
Des vents errants;
Sentir bruire en sa poitrine
L'âme des brises purpurines,
Où la syrinx encor vibre de Pan qui danse,
Semant d'acides dissonances
Les bouleaux coiffés de rayons
En tourbillons,
Et follement pleurant aux écluses suaves
Des étangs encombrés de vase
Et que décorent des renoncules de topaze.
Ah! sortir de soi-même
En quel spasme suprême?
Comme on meurt au coeur d'un amant,
Qu'on porte en ses bras sur son coeur qui chancelle,
Mourir d'un tel élan qu'on retourne et se mêle
Au grand foisonnement de l'âme universelle.
***
Rien n'est triste ni redoutable
Si nous sommes l'Initié
Au-dessus des mornes pitiés
Et des effarements d'escalave.
Si nous fuyons comme le sable,
S'il nous faudra descendre,
En la tombe éphémère, où ses doigts de cendre,
Fugitive, la mort un soir nous conduira,
Une aube ressuscitera,
Dans la splendide profondeur des temps accumulés,
Nos spectres étoilés.
Nous sommes la substance aux cent métamorphoses,
En notre chair dorment des roses
Et des amaryllis candides surgiront
Des corps putréfiés que les tombes rendront.
***
Nature, je suis toi et de divine essence,
Tu peux me transposer au gré de ton vouloir
Et faire de mon coeur l'écho ou le miroir.
Je demeure éternelle en ta magnificence:
Que je sois la rivière aux flexueuses cadences,
Le vent du cimetière, où croît un gazon noir,
Sur les chaumes, la paix des calmes reposoirs,
L'horizon parfumé qu'un feu de pâtre encense.
L'herbe printanière est la robe bruissant
Sous laquelle le flanc du coteau se pressent
Et qui me vêtira si je suis cette ligne;
Et l'amour de mon coeur sera les pleurs insignes,
Qui tombent embaumés des bourgeons de la vigne,
Alors que font leur nid les ramiers gémissants.
Les Pastorales, 1908.