Les sainfoins
Les sainfoins
J'irai avec mon rêve au creux des sainfoins doux
Et l terre me bercera sur ses genoux.
Un lent balancement d'arc-en-ciel en folie,
Tout un prisme fluant dans la brise amollie,
Tremblera sous mes cils. De languides sanglots
Sortiront des épis roses, heurtant leurs flots.
J'aurai l'oreille auprès du coeur fort de la terre
Et je l'entendrai battre à grands coups; la lumière
S'étendra sur mon corps et j'ouvrirai les bras;
Tout le ciel, se courbant vers moi, me baisera.
Je ne saurai plus rien de ma vie trop étroite
Et me disperserai aux phrases qui miroitent,
Comme un ruisseau flexible au soleil, des loriots
Venus pour picorer les juteux bigarreaux.
En une averse d'or aux ronflantes rafales
Autour de moi pleuvront les cris drus des cigales.
Parfois, j'écouterai, quand se tait leur concert,
Que l'espace devient comme un temple désert,
Après un grand silence, où tout semble l'attendre,
Le vent, aux pas rythmés, de l'empyrée descendre;
Poursuivre par les champs lumineux, noblement,
Excitant des épis la pourpre turbulence,
Sa danse fastueuse à la juste cadence.
Alors te saisirais-je au tourbillonement
Des forces déchaînées; en cette griserie
De la terre amoureuse et qui soudain s'écrie
Et se tord de plaisir, innombable idéal;
Toi que j'ai tant guetté en son souffle augural?
Volupté sans pareille, à mon désir mystique
Inguérissablement, quand te livreras-tu?
Mon coeur est dénué, avide, dévêtu,
Quand l'ébranleras-tu d'un spasme magnifique?
Idéal inconnu ton parfum tremble-t-il,
Comme une odeur charnelle attachée à nos paumes,
Dans ma main tâtonnant la terre et ses arômes,
Entre mes doigts rejoints sur l'odeur des pistils?
Vraiment quand le ciel penche au niveau de ma bouche
Ai-je de ton baiser goûté l'ardeur farouche?
M'appartiens-tu? Oh oui, je te crée par mes voeux;
O toi que j'ai rêvé, existes! Je le veux!
Les pastorales, 1908.