(Paissez, troupeaux...) A la primevère
A la primevère
(Paissez, troupeaux...)
Paissez, troupeaux ardents du rêve,
Par les landes, à la vesprée
Des roses brêves;
A l'orée
Des bois, les lents baisers vermeils,
Comme des lèvres, du soleil.
Paissez ces caresses jusqu'à
L'horizon que le soir musqua
Du parfum des fleurs endormies.
Complainte tendrement gémie,
Le vent
Mêle en d'invisibles élans
Les flots dolents.
Tordu sur la vase engourdie,
Un if se mire à l'eau croupie:
Paysage où tout émoi noie
Sa splendeur triste qui s'éploie,
De deuil et d'or,
D'or et d'encens
Effervescents.
Et, vers la berge, il me sembla
Sombrer éperdument dans la
Clarté qui jaillit des glaïeuls,
Dressés frigides, tels des glaives
Dont les tranchants bleuis s'enlèvent
D'acier sur la moire écarlate;
Tels des mains froides en rêve
Et qui pressent mon coeur brûlant.
A la berge, j'avais voulu
M'asseoir sur le gazon velu,
Fuyant avec les sourds remous
Des sources infiltrant dessous
Les tertres roux,
Spongieux et mous,
Leurs courses.
Sources,
Vos doigts frais lentement m'entraînent,
Me mélangent et me transposent,
Joignant au serpolet mes roses,
Tressant au thym mes vignes folles.
Paissez, troupeaux errants du rêve,
Les parfums de mes roses brêves,
Paissez les fulgides moissons
Des baisers à mes horizons.
A la primevère
A travers le voile, 1902.