Parfums
Parfums (1)
A Monsieur Maurice Barrès
J'ai recueilli tous vos trésors, molles errances,
Haleine aux soirs dormants qu'ont les chanvres rouis,
Les tréfles que l'on fauche en la brume enfouis
Et les sainfouins qu'un souffle matinal balance.
J'ai recueilli tous vos trésors, molles errances.
Je connais la douceur que vos parfums renferment,
Chambres à four où le pain brûlant fume encor,
Margelle des vieux puits parés de mousse d'or
Et, pleine de fumier, cour sereine des fermes.
Je connais la douceur que vos parfums renferment.
J'ai saisi quelquefois, rêvant dans l'écurie,
Où le souffle des boeufs sortant des mufles blonds
Monte en brouillard d'azur, un peu l'âme qu'ils ont
De résignation calme et de paix fleurie.
J'aime l'odeur qui flotte aux murs de l'ècurie.
J'ai goûté bien souvent l'arôme ambrosiaque
Des sarrasins meurtris qu'écrasent les fléaux
Et des tiges s'entassent en pourpres monceaux,
Pendant que le grain noir jaillit et qu'on l'ensaque.
J'ai goûté bien souvent l'arôme ambrosiaque,
En septembre, des fruits tombant dans l'herbe humide,
De l'estragon, des lys, des floraisons d'asters
Et des noyers livrant leurs feuillages amers,
Sous le ciel pluvieux, au vent qui les oxyde.
Et j'ai fait un linceul à mes désirs défunts,
Par les vergers d'automne et que la brume inonde,
De l'effeuillement doux des roses moribondes:
Mon âme est une amphore où dorment des parfums.
Par l'Amour, 1904