(S'asseoir sur un murger)
(S'asseoir sur un murger,...)
A Monsieur Ch: Grandmougin
S'asseoir sur un murger, les pieds dans les broussailles
Et les doigts enlacés aux rugueuses pierrailles,
Seule avec les lointains où le soleil se meurt,
Seule avec sa pensée et seule avec son coeur.
Respirer le parfum des herbes attiédies,
Ecouter la cigale aux lentes psalmodies
Vibrer parmi les brins séchés des serpolets,
Voir s'embrumer du soir le vitrail violet.
Voir s'élever du creux des placides jachères,
En arceaux imprécis, l'encens crépusculaire,
Et l'orchis opalin de la lune, aux prés bleus
Du ciel, éparpiller son pollen nébuleux.
Savourer cette odeur de la lande que baigne
Quelque ruisseau muet et filtrant sous les sphaignes,
Savourer cette odeur enivrante qui sort
Mystérieusement de la gèbe qui dort.
Goûter le souffle obscur de la forêt prochaine
Dont le frisson murmure au feuillage des chênes,
La fauve et l'âcre odeur qui vient comme un baiser
De faune sur la bouche ardemment se poser.
Et n'être que la nuit, le parfum, la bruyère,
Le tourbillon léger des derniers éphémères,
Etre le serpolet bruissant sous ma main,
Fuir hors de ce cachot qu'on nomme un coeur humain,
Mais, dans l'humilité douce des moindres choses,
Devenir l'herbe morte où le grillon repose,
Ou bien le roitelet lassé de pépier
Qui perche sommeilleux aux branches des ronciers.
Par l'Amour, 1904