Santa Maria del Salute
Santa Maria del Salute
(Extrait de "Venise")
Cette église répand, comme toutes les églises italiennes, très loin, des exhalaisons de fleurs - en ce moment, de lys - d'encens. C'est une attirance à laquelle on ne peut résister. Entrons. Pour les prières du mois de Marie, les autels justement sont chargés de lys. Des lueurs innombrables palpitent. Par grands élans tendres, passionnés, des chants se soulèvent, puis retombent: des envols trop haut qui s'échouent, ailes brisées. Et maintenant, c'est un prêtre, devant l'ostensoir exposé, scandant pompeusement des prières latines avec une sorte d'autorité; on y sent son droit de parler, de discourir à la romaine devant la divinité, sommée de l'écouter, d'octroyer ses dons en échange des hymnes, de l'encens, des sacrifices qu'on lui offre.
Mais tout de même, ces cantiques, ces tourbillonnantes émanations, la pénombre mystérieuse, ces apostrophes à l'antique, tout constitue un entour d'excessive séduction.
De quelque nom qu'on le désigne, l'idéal habite ces voûtes, appelle les invocations, provoque les gestes d'adoration, les pleurs, les agenouillements. Goûter, au cours des heures, de toutes les formes de "libération" qui s'offrent depuis "l'arôme du vin cuit" jusqu'au relent des cierges, épuisant leurs flammes en de mystiques ténèbres...
Il me plaît de solliciter parfois l'abdication de la volonté consciente, cette virtuose à qui, en somme, je veux concéder d'ordinaire le soin de ma vie. En ce moment toute faculté de réflexion s'embruine; il reste au fond de moi seulement le don d'éprouver sans pensée et de renverser ainsi ces limites qui séparent l'être fini de l'objet sans bornes de son désir, de cet au-delà prestigieux qui ne devient accessible que par l'extase et qu'apprivoise si bien l'atmosphère embaumée et mélodieuse des églises.
Clartés, 1907.
