(Tout vain désir...) A la prime vère
A la prime vère
(Tout vain désir...)
Tout vain désir avec toute pensée expire
Et ma vie effacée, incertaine, recule,
Car voici, déversé, qu'autour de moi soupire
Le printemps, océan chantant qui s'accumule.
L'immense amour frémit en chaque molécule,
Eclate et craque et monte et brise les cloisons,
Eternel flux berceur dont la force circule
De mon coeur attiédi aux primes floraisons.
J'ai fui hors de moi-même, épanché dans son rire,
Comme un esclave heureux loin de son ergastule.
Les chèvrefeuilles ont enlacé de leurs spires
Les coudriers fleuris. - Le pollen suinte et brûle
De miel doré criblant corolles et capsules;
Des grouillements cachés rôdent sous les buissons
Où le baiser confus et secret s'articule
De la Bête amoureuse aux primes floraisons.
Je suis le vent qui roule et je m'entends bruire
Parmi le vol agile et bleu des libellules;
Au visage des eaux, j'ai vu mes yeux reluire,
Et mon sang a teinté les roses campanules,
Pendant que de la sève en moi se coagule.
Je parle avec l'écho et vogue à l'unisson
Des trainantes rumeurs que le bois dissimule,
Et je m'épanouis aux primes floraisons.
Envoi
O Printemps, roi puissant, dans mes veines ondule
Ton âme. Et libéré de la folle raison,
Je mêle aux mots profonds que ta lèvre module,
Mon cantique d'amour, vibrante floraison.
A la primevère
A travers le voile, 1902